Oleksandr Koltchenko : « Certains représentants de la gauche en Europe ont une vision faussée sur l’Ukraine »

Oleksandr Koltchenko : « Certains représentants de la gauche en Europe ont une vision faussée sur l’Ukraine »

Oleksandr Koltchenko est l’un des anciens prisonniers politiques ukrainiens en Russie les plus connus. Ensemble avec Oleh Sentsov, il est devenu une personnalité du mouvement de manifestation des citoyens ukrainiens en Crimée après l’annexion de la péninsule par la Fédération de Russie. C’est ainsiqu’Oleksandr Koltchenko est devenu l’un des trois anciens prisonniers politiques ukrainiens qui font partie du projet #Prisonersvoice (La voix du prisonnier). Sa voix, combinée avec celles d’Oleh Sentsov et Volodymyr Baloukh résonneront dans l’application mobile de réalité augmentée (AR-Augmented Reality), informant le public mondial sur les crimes contre l’Humanité commis par le régime du Kremlin. Grâce à l’aide de la technologie AR, les spectateurs pourront ressentir en profondeur les expériences émotionnelles de ces situations vécues, dans lesquelles se trouvaient les prisonniers politiques ukrainiens les plus connus, des circonstances de leur arrestation jusqu’à la vie en prison.

Koltchenko a été arrêté le 16 mai 2014 à Simféropol. Une affaire de terrorisme a été fabriquée contre lui et le 25 août il a été condamné à 10 ans de prison à Moscou.

Le 7 septembre 2019, Oleksandr est rentré en Ukraine dans le cadre d’un échange de prisonniers avec la Russie. A ce moment-là, onze prisonniers sont rentrés d’une détention illégale en Fédération de Russie, dont Oleh Sentsov, Oleksandr Koltchenko, Volodymyr Balukh, Edem Békirov, Pavlo Hryb, Mykola Karpiouk, Stanislav Klykh, Artur Panov, Yevhen Panov, Oleksiy Syzonovytch et Roman Souchtchenko. En plus de ces hommes, la Russie a été obligée de libérer par une décision d’un tribunal international 24 marins capturés comme prisonniers de guerre.

Oleksandr Koltchenko a parlé au projet #Prisonersvoice de la grève de la faim en prison, l’ambiance actuelle en Crimée, « l’immobilier au cœur de Moscou » et beaucoup plus.

Au cours de la semaine de votre grève de la faim en soutien à Oleh Sentsov, vous avez perdu 10 kilos. Comment avez-vous réussi à résister ?

J’avais déjà envoyé une lettre à Poutine en lui demandant d’intervenir. Car je connaissais le caractère d’Oleh et je savais qu’il irait jusqu’au bout. Mais un certain temps a passé et il fallait agir. J’ai choisi de le soutenir de cette manière. Je ne tenais pas au-delà d’une semaine. Les matons ont déjà dit qu’ils m’emmèneraient à l’hôpital et me gaveraient de force. Et j’ai « levé l’ancre. »

Dans une interview, vous avez dit que vous n’avez pas besoin de soins psychologiques constants. Qu’est-ce qui vous donne de la force de tenir psychologiquement après tout ce que vous avez vécu ?

Premièrement, c’est le soutien externe, la correspondance. J’ai fait connaissance avec beaucoup de monde. Les livres m’ont aussi donné de la force. J’ai essayé de maintenir la communication au sein de la prison avec autant de gens que possible. Mais j’ai toujours gardé mes distances.

Il ne vous était pas possible de vous ouvrir complètement ?

Bien sûr ! Tout cela est lié peut-être dans l’ensemble.

Qui vous a soutenu ? Des gens d’Ukraine, d’Europe, des Etats-Unis ?

De partout ! Quand j’étais encore à Moscou, ma sœur avait mentionné dans une lettre : « Nous vivions dans un studio et quelqu’un restait dormir chez nous. Même des inconnus sur la demande des connaissances mutuelles ». Elle avait écrit : « la moitié de l’URSS a passé la nuit chez nous et maintenant ils te soutiennent tous. » 

Et avez-vous vécu à Moscou pendant un certain temps ?

Eh oui, un an et un mois. A Lefortovo. L’immobilier qui est au cœur de la ville ! (Sourit – réd.)

Quels livres avez-vous lu ?

Plus que je n’en lisais en liberté. Mais moins que je pouvais car j’étais très paresseux. J’ai lu Les Aventures du brave soldat Švejk pendant la Grande Guerre. Ce livre aide beaucoup à survivre dans de telles conditions. Et beaucoup d’autres livres de science-fiction, de fiction, d’économie, etc.

C’est-à-dire que l’humour et le développement personnel vous ont aidé ?

Oui. (Sourit –réd.)

Vous tenez-vous au courant de l’ambiance en Crimée ? Comment est-ce qu’elle a changé en six ans ? Avez-vous toujours des connaissances là-bas ? Nous n’avons pas de résultats fiables de sondages, par conséquent nous ne pouvons nous concentrer que sur les récits de connaissances.

Des connaissances sont restées, mais il me semble que depuis 2014, les gens en Crimée sont devenus plus fermés, comme dispersés : Personne ne parle ouvertement de tels sujets politiques. Et même si quelqu’un est déçu de son choix en 2014, il est difficile pour les gens de prendre conscience et reconnaître leurs erreurs.

Avez-vous des connaissances pro-ukrainiennes toujours en Crimée ?

Oui, j’en ai.

Que leur conseilleriez-vous ? Lutter, parler ouvertement, ou bien se cacher ?

Il est difficile de conseiller quelque chose, car chacun a sa propre situation.

Maintenant, de nombreux Tatars de Crimée sont détenus en Russie. L’Ukraine fait tout son possible pour les libérer. Etes-vous impliqué d’une manière ou d’une autre dans ce processus ? Aidez-vous ? Vous y intéressez-vous ?

Je m’y intéresse, mais je n’aide pas malheureusement. Je ne peux pas. 

Vous n’êtes pas connecté directement ?

Non. Mais il y a l’Association des familles des prisonniers politiques (du Kremlin) et ils essaient de rendre ce procès plus ouvert, plus transparent, pour que les proches puissent savoir ce qu’il se passe.

Les étrangers s’intéressent-ils à ce qu’il se passe avec prisonniers politiques ukrainiens et russes en Russie ?

Oui, ils s’y intéressent. Mais j’ai entendu de la part de nombreuses personnes qu’en 2014, en 2015, des émissaires de « Borot’ba »  ont parcouru l’Europe (note : « Borot’ba » ou la lutte en français est une organisation communiste en Ukraine qui a soutenu les séparatistes pro-russes et les Russes en 2014). Les émissaires de Borot’ba, la soi-disant organisation « de gauche »  ont raconté quelles « horreurs » se passaient en Ukraine, que la soi-disant « junte fasciste » est arrivée au pouvoir. C’est ainsi que certaines personnes de gauche en Europe ont un avis déformé de l’Ukraine, de la Crimée, de ce qui se passe dans le Donbas. 

La propagande du Kremlin a-t-elle joué un rôle?

Oui, par leurs émissaires. Maintenant, il faut expliquer comment tout se passe vraiment ici.

Que voudriez-vous le plus maintenant ? Du soutien moral de la part des Ukrainiens ou de la part de l’Occident ?

J’ai suffisamment de soutien. Maintenant il s’agit de gagner ma vie pour qu’il soit possible de soutenir ceux qui sont en prison en Russie. 

Collectez-vous de l’argent ?

Actuellement, je n’ai pas d’argent, mes économies s’épuisent. C’est pourquoi j’essaie de maîtriser un nouveau métier – apprendre à dessiner dans Illustrator pour gagner de l’argent. Quand j’avais l’opportunité de collecter quelque chose quand j’allais en Europe, et qu’il en restait quelque chose de mon indemnité journalière, je le donnais à une connaissance en Russie, Volodymyr Akimenkov. Il recueille des fonds pour les prisonniers politiques ukrainiens en Russie et aussi pour les prisonniers politiques russes.

Vous faites partie du milieu anarchiste. Le monde entier observe en ce moment les manifestations de « Black Lives Matter » du soutien aux citoyens d’origines afro-américaines aux États-Unis et où les idéologies de gauche sont aussi présentes.

Les idéologies de gauche y compris. Les participants du Maïdan voulaient se distancier de ces parallèles avec les manifestations aux États-Unis, mais elles existent car cette protestation est aussi très large. Des gens de différents points de vue participent à ces manifestations, tout comme sur le Maïdan en Ukraine. Les gens sont sortis aussi contre les violences policières, tout comme en Ukraine. Ils essaient de repenser et surmonter l’héritage colonial, tout comme en Ukraine. Ce processus est en cours, ce n’est pas terminé. Il y a encore à Odesa un monument de Catherine II qui avait rasé la Sitch Zaporogue. Mais l’essentiel n’est pas ces monuments dans les rues, mais l’héritage colonial dans les têtes. 

Selon vous, qui est-ce qui entretien cet héritage colonial : la télévision, l’éducation, nous-mêmes, l’influence de la Russie ?

L’influence de la Russie – oui. Les agents d’intérêts russes, de partis pro-russes, de mouvements. 

 

LA SITUATION ACTUELLE: PAS MOINS DE 100 PRISONNIERS POLITIQUES UKRAINIENS EN RUSSIE. LEURS DROITS SONT VIOLÉS.

L’Ukraine a déjà réussi à récupérer une partie des prisonniers politiques de Russie et d’ORDLO (les territoires occupés des régions de Donetsk et Louhansk). Plus de 100 citoyens ukrainiens sont toujours détenus illégalement en Crimée occupée ou en Fédération de Russie. Ces données ont été rapportées par une coalition d’ONG ukrainiennes qui s’occupent de la libération de ces prisonniers.

En outre, 21 personnes sont assignées à résidence ou interdites de quitter la Crimée selon l’Association des familles des prisonniers politiques du Kremlin. Presque toutes ces personnes sont des Tatars de Crimée.

Selon la commissaire aux droits de l’homme de la Verkhovna Rada de l’Ukraine, Lyudmyla Denisova, les droits de la plupart des prisonniers politiques ukrainiens sont gravement violés. Par exemple, Oleksandr Martchenko, Tofik Abdoulhaziev, Rouslan Souleymanov et Eskander Abdoulhaniev, qui sont illégalement détenus au Service fédéral des pénitenciers de Russie, sont privés de soins, malgré des plaintes constantes quant à la détérioration de leur santé.

Et même si les détenus reçoivent des médicaments de la part de leurs parents ou de connaissances, la direction des maisons d'arrêt confisque ces transferts. Ceci est une violation de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et du paragraphe 22 de l'Ensemble de règles minimales pour le traitement des détenus, approuvées par le Conseil économique et social des Nations Unies.

Auteur: Tetyana Matytchak 

Traduit par Tanner Wagner

 

Renseignement : l’application de réalité augmentée #PrisonersVoice est créée dans le cadre d’un projet mis en œuvre par l’ONG « Internews-Ukraine » avec le soutien de la Fondation Culturelle ukrainienne et en coopération avec le Centre de liberté civile et d’autres partenaires. Le projet fait partie d’une campagne globale #PrisonersVoice, qui vise à attirer l’attention du monde sur les prisonniers politiques ukrainiens qui ont été ou sont toujours dans les prisons russes, et sur la violation de la Fédération de Russie de la législation internationale en matière de droits de l’homme. 

La position de la Fondation Culturelle ukrainienne peut ne pas coïncider avec l’opinion de l’auteur.